vendredi 7 juillet 2017

Moi et la grossophie

« Je savais que c'était pas pour faire une taille mannequin venant de toi. Tu es trop intelligente pour te laisser influencer par les diktats de la minceur. En plus t'as pas l'air si complexée que ça par ton poids. »

Quelques petits mots comme ça venant d’un collègue en rentrant de déjeuner.  Aucune méchanceté voulue dans ses propos. Rien que l’ignorance qui se veut innocente d’une personne mince.

Depuis que j’ai sept,  huit ans je vis dans un monde qui me fait bien comprendre que mes quelques bourrelets, au départ si petits et innocents, sont de trop. Pourtant ces quelques cellules adipeuses qui traînent le long de ma chair sont une part de moi tout autant que mes muscles, mes dents, mes cheveux etc…

Au départ il y eut la mère, ma mère. Une mère avec qui je n’avais pas grandi puisqu’elle m’a eu trop jeune. J’ai été élevé par ma grand-mère, un être emplie de bienveillance à et que je nommais affectueusement mémé gâteau : elle était une cuisinière hors pair qui répandait son amour autour d’elle comme l’odeur d’un plat mijotant tout doucement. Cette mère donc a repris ma garde au décès de celle qui fut à bien des égards ma mère de cœur.

A l’époque mon père travaillait trop et je le voyais peu. Dommage, je me dis qu’avec lui dans les parages le poison maternel aurait pu se rependre plus difficilement en moi. Elle  avait un rapport particulier à la nourriture : grande, mince et belle, elle avait tendance à manger peu quand de mon côté je devais finir mon assiette, même si je n’aimais pas, même si c’était froid. J’inventais une technique : je gobais les aliments pour que leur goût ne s’imprègne pas dans ma bouche. Je découvrais un certain plaisir à me sentir emplie par la nourriture alors que  ma grand-mère avait laissé un si grand vide en moi. C’est comme ça que je commençai les crises d’hyperphagie, cherchant dans la nourriture un plaisir que la vie m’offrait si parcimonieusement.

Les kilos s’accumulèrent ainsi. Heureusement, j’aimais faire de longue balade en vélo ou chez mon grand-père en forêt, accompagnée par Gavroche, le chien de mes parents ou Choco le caniche de mon grand-père. Promener le chien avec les écouteurs sur les oreilles c’était mon moment d’évasion. Je m’inventais des histoires sur le rythme des musiques ou bien j’imaginais ce grand appartement que j’aurais pour moi toute seule quand je serais grande. A 9 ans, l’âge adulte me semblait un monde merveilleux où les quelques responsabilités qu’on acquerrait me semblait être un faible prix pour la liberté acquise.

A l’école, j’étais la grande grosse. Celle dont on se moque parce qu’elle a toujours l’air perché dans la lune ou qui est nulle en sport. Celle qu’on choisit systématiquement en dernier. Ma mère me reprochait mon poids, disant que j’étais trop grosse, que je manquais de grâce, que je n’étais pas féminine. Comme une prophétie auto-réalisatrice elle me coupait mes cheveux courts, trop courts, pour mettre à bas la seule chose que je trouvais beau chez moi, mes cheveux châtains. Mon premier acte de révolte contre elle, lorsque mes parents divorcèrent, fut de me laisser pousser les cheveux. Ces longs cheveux que ma grand-mère coiffait longuement le soir, presque religieusement. J’avais l’impression de revivre, rien que par cette petite part de féminité retrouvée.

Au collège, j’étais ronde, un petit peu grosse en somme, mais rien qui ne soit alarmant pour ma santé car j’étais aussi grande et assez carrée. Mon père me répétait souvent que j’avais une carrure de bonhomme. Des mots, qui ne se voulaient certainement pas méchant mais qui m’ont marqué. Ma taille, mon poids, feront toujours de moi une demi-femme.

Ce statut fut surement la raison des brimades que je subis au collège. Des gamines m’insultant de grosse vache, de mocheté, de « aucun mec voudra de ça ». Le summum fut atteint un jour où une certaine Amélie (putain je m’en veux d’avoir gardé ce nom en tête) me baissa mon jogging en sport devant l’indifférence totale du professeur. Et comme souvent chez moi, la tristesse se transforma en colère à une vitesse éclair. Je la chopai à la sortie du collège et je la frappai de mes poings rageurs. Elle prenait pour ma mère, pour la société, pour la vie. J’étais grosse mais je ne leur ferais pas de cadeaux non plus. Je cognerais pour avoir le droit de vivre avec ce corps.

Cette vengeance me valut le respect des mecs dit pas recommandables. Ils voyaient en moi quelqu’un de leur bande. J’ai fait des conneries avec eux mais merde ça faisait du bien d’être entourée même s’ils niaient au passage mon statut de femme. Car une femme se doit de prendre le moins de place possible, ne pas parler fort, ne pas dire de gros mots et ne pas faire preuve de violence. Je décidai d’être tout le contraire.

Mais l’adolescence arriva. Des hanches larges et surtout une poitrine rebondie qui m’exposa rapidement aux regards lubriques d’homme qui pouvaient avoir trois à cinq fois mon âge. Je me rappelle encore de cet homme âgé qui m’accula pour embrasser mon ventre de jeune fille. J’ai été comme bloquée, tétanisée pendant quelques instants et heureusement j’ai eu le déclic de prendre la fuite avant qu’il aille plus loin. Je n’en ai pourtant parlé à personne, trop honteuse, me disant que personne ne me croirait. J’étais la grosse, la laide et pourtant ça me protégeait en rien de la lubricité des hommes. Je serai un objet comme toutes mes sœurs.

Vers la fin du collège j’ai cru connaître l’amitié féminine. Malheureusement j’ai dû attendre le lycée pour vraiment l’expérimenter. J’ai été l’amie grosse, le faire-valoir. Celle dont on disait envier son « laisser-aller» preuve de sa liberté d’esprit. Foutaises. Moi j’avais envie de l’aimer ce corps, d’en prendre soin. D’avoir de l’allure et de la prestance dans des vêtements qui refléteraient ma personnalité. Mais voilà tout me disait qu’une grosse était ridicule. Alors j’avais honte et préférais ne pas tenter. Je ne voulais pas être ridicule alors je faisais croire que c’était voulu.

Et pourtant, j’y ai eu le droit, à mon lot d’humiliations… J’étais amoureuse d’un de mes amis, rien que de plus banal à 13 ans. Mais comme la peur d’être ridicule était chevillée à mon être comme les kilos en trop je préférais rien en dire. Jusqu’au jour où je reçu un petit mot dans un de mes cahiers : un garçon qui disait m’aimer. Je suis allée au rendez-vous qu’il me proposait, caressant l’espoir que c’était mon ami. Mais comme la vie n’est pas une comédie romantique, ou alors car les héroïnes de comédies romantiques ne sont pas grosses, c’était une bande de gamines hilares qui m’attendait. Les rires moqueurs fusaient, les répliques cinglantes. Après tout qui étais-je pour croire qu’on pourrait m’aimer, moi la grosse ?

Mon adolescence fut empreinte d’humiliations amoureuses. Comme ce garçon qui ne voulait pas qu’on sache qu’il sortait avec moi. Moi, la grosse, celle qu’on ne présente pas à ses potes de peur qu’ils se moquent car on avait réussi qu’à se trouver un boudin. Heureusement des ami.e.s m’ont soutenu.e.s même si je ne leur parlais jamais de ce genre de chose : des blessures quotidiennes en tant que grosse dans une société qui élève ton mal-être comme une récolte à moissonner sur le tard. Car oui, c’est rentable les gross.e.s aml dans leur peau. Au lycée je cachais mes régimes, mes privations alimentaires, les fois où je me faisais vomir. Mais j’étais divisée. Car ce corps au final c’était le mien et était parfois une vraie source de plaisirs et d’accomplissements.

A quinze ans, grâce à l’accord d’un père compréhensif, je me suis fait tatouer une petite rose sur l’épaule. Le début d’une lente et longue réconciliation. J’avais besoin de marquer dans mon corps mon identité, que mes kilos et ma ressemblance physique avec ma mère, m’interdisaient. Encore une fois je me rends compte, que même avec ses défauts, mon père a participé à mon émancipation : je devais être libre. Bientôt j’adoptais et testais plein de looks différents : baba cool, gothique, cheveux mauves, oranges, bruns puis finalement et encore aujourd’hui rouges, piercings, etc… Tant que je n’abusais pas et que mes notes étaient bonnes mon père n’y voyait pas d’objections dans la limite de ses moyens financiers. Et c’est grâce à ce sentiment de liberté que j’ai réussi à quitter cette sensation que mes kilos me rendaient ridicules. Petit à petit, briques par briques… On ne déconstruit pas en un jour ce qu’une vie entière vous a inculqué. Mais de temps en temps, quelques briques venaient se rajouter : une insulte venant d’un gars dans la rue, ma mère m’offrant des livres de régimes ou encore mon reflet dans le miroir dans les cabines d’essayages…

Ça a été un long combat. C’est une fois jeune adulte que je me suis cognée à la grossophobie du milieu médical. Je me rappelle encore être sortie quasiment en larmes après un entretien avec la médecine du travail. Je bossais en tant que caissière et je souffrais parfois de maux de dos. La médecin m’a dit froidement que la cause de tout cela était mon surpoids et ne m’a fourni aucune explication sur les postures à tenir en caisse. Non, je n’étais rien d’autre qu’un chiffre sur une balance, un simple rapport poids/taille. Je faisais alors 100kg pour 1m76 et je ne souffrais pas de surpoids, j’étais ce surpoids. La grosse à abattre alors que j’étais en parfaite santé.

Mon compagnon actuel, rencontré alors que je bossais dans ce même magasin, et avec lequel je suis depuis 7 merveilleuses années œuvre chaque jour pour essayer de m’aider à m’accepter telle que je suis. Malheureusement pour nous, il est dur de combattre une vie de brimades à cause de son poids. Mon père, qui peut pourtant se montrer si compréhensif, lui a même reproché cette bienveillance car à cause d’elle je ne ferais pas suffisamment attention à ma santé. Pourtant c’est grâce à cette bienveillance que j’arrive aujourd’hui à pousser la porte d’une nutritionniste dans le but de perdre du poids car je suis arrivée à un palier où je ne me reconnais pas. De plus, malgré le calvaire que représentaient pour moi les cours de sports, j’ai enfin trouvé une discipline qui me donne envie de me dépasser : le Krav Maga.

Mais ce n’est pas un poids idéal que je veux atteindre. Je veux juste devenir plus forte et retrouver un corps dans lequel, quoi que me disait la société, je me sentais bien. Même avec quelques kilos en trop. Et je sais que quoi qu’en dise les médias, je ne serais pas égales par rapport aux autres. Non, je ne suis pas grosse parce que je me goinfre en cachette ou parce que je ne me bouge pas. Maintenir mon  poids toute ma vie me demandera des sacrifices alimentaires que la plupart des gens naturellement minces ne comprennent pas. Mais je ne le ferai que pour moi et le sport deviendra un allié, là où il n’était alors qu’un autre outil d’oppression. Car mon corps est mon corps. Gros ou moins gros, il le sera toujours. Je ne le changerais pas pour faire plaisir à une société oppressive et hypocrite qui dit se soucier de ma santé quand elle oublie mon bien être mental.

Et soyons pragmatiques deux secondes : maigrir demande de l’investissement et des moyens financiers que tous ne peuvent pas fournir. Mon médecin n’est même pas remboursé intégralement par la sécurité alors qu’on ne cesse de nous rabâcher que l’obésité est un problème de santé publique. Je ne peux m’empêcher d’y voir une incohérence stupide.


Donc non. Si vous vous sentez mal dans votre peau à cause de votre poids ou de n’importe quoi d’autre ce n’est pas une question de faiblesse ou de manque de recul/d’intelligence où je ne sais quoi d’autre. Nous ne pouvons pas être indifférents à ce qu’une société et tous les éléments qui la compose, nous matraque sans cesse. Et peu importe l’oppression systémique à laquelle vous faites face. Vous n’êtes pas faibles ! Sortez-vous cela immédiatement du crâne. Nous sommes des êtres sociaux, bâtis pour fonctionner ensembles et nous ranger à l’avis du plus grand nombre. Si cette société a marqué son empreinte en vous c’est juste parce que nous sommes humains et nous fonctionnons ainsi. Des êtres sociaux. Il est lent le chemin à parcourir pour s’accepter. Mais paradoxalement je n’ai jamais été aussi grosse et je me suis jamais autant aimée.

Et pour les autres qui se croient meilleurs, qui pensent pouvoir être au-dessus de tout ça, peut-être juste parce que vous n’avez pas encore pris la mesure de vos œillères.



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