« Je savais que
c'était pas pour faire une taille mannequin venant de toi. Tu es trop
intelligente pour te laisser influencer par les diktats de la minceur. En plus
t'as pas l'air si complexée que ça par ton poids. »
Quelques petits mots
comme ça venant d’un collègue en rentrant de déjeuner. Aucune méchanceté voulue dans ses propos.
Rien que l’ignorance qui se veut innocente d’une personne mince.
Depuis que j’ai
sept, huit ans je vis dans un monde qui
me fait bien comprendre que mes quelques bourrelets, au départ si petits et
innocents, sont de trop. Pourtant ces quelques cellules adipeuses qui traînent
le long de ma chair sont une part de moi tout autant que mes muscles, mes
dents, mes cheveux etc…
Au départ il y eut
la mère, ma mère. Une mère avec qui je n’avais pas grandi puisqu’elle m’a eu
trop jeune. J’ai été élevé par ma grand-mère, un être emplie de bienveillance à
et que je nommais affectueusement mémé gâteau : elle était une cuisinière
hors pair qui répandait son amour autour d’elle comme l’odeur d’un plat
mijotant tout doucement. Cette mère donc a repris ma garde au décès de celle
qui fut à bien des égards ma mère de cœur.
A l’époque mon père
travaillait trop et je le voyais peu. Dommage, je me dis qu’avec lui dans les
parages le poison maternel aurait pu se rependre plus difficilement en moi. Elle
avait un rapport particulier à la
nourriture : grande, mince et belle, elle avait tendance à manger peu
quand de mon côté je devais finir mon assiette, même si je n’aimais pas, même
si c’était froid. J’inventais une technique : je gobais les aliments pour
que leur goût ne s’imprègne pas dans ma bouche. Je découvrais un certain
plaisir à me sentir emplie par la nourriture alors que ma grand-mère avait laissé un si grand vide en
moi. C’est comme ça que je commençai les crises d’hyperphagie, cherchant dans
la nourriture un plaisir que la vie m’offrait si parcimonieusement.
Les kilos s’accumulèrent ainsi. Heureusement, j’aimais faire de longue
balade en vélo ou chez mon grand-père en forêt, accompagnée par Gavroche, le
chien de mes parents ou Choco le caniche de mon grand-père. Promener le chien
avec les écouteurs sur les oreilles c’était mon moment d’évasion. Je
m’inventais des histoires sur le rythme des musiques ou bien j’imaginais ce
grand appartement que j’aurais pour moi toute seule quand je serais grande. A 9
ans, l’âge adulte me semblait un monde merveilleux où les quelques
responsabilités qu’on acquerrait me semblait être un faible prix pour la
liberté acquise.
A l’école, j’étais la grande grosse. Celle dont on se moque parce
qu’elle a toujours l’air perché dans la lune ou qui est nulle en sport. Celle
qu’on choisit systématiquement en dernier. Ma mère me reprochait mon poids,
disant que j’étais trop grosse, que je manquais de grâce, que je n’étais pas
féminine. Comme une prophétie auto-réalisatrice elle me coupait mes cheveux
courts, trop courts, pour mettre à bas la seule chose que je trouvais beau chez
moi, mes cheveux châtains. Mon premier acte de révolte contre elle, lorsque mes
parents divorcèrent, fut de me laisser pousser les cheveux. Ces longs cheveux
que ma grand-mère coiffait longuement le soir, presque religieusement. J’avais
l’impression de revivre, rien que par cette petite part de féminité retrouvée.
Au collège, j’étais ronde, un petit peu grosse en somme, mais rien qui
ne soit alarmant pour ma santé car j’étais aussi grande et assez carrée. Mon
père me répétait souvent que j’avais une carrure de bonhomme. Des mots, qui ne
se voulaient certainement pas méchant mais qui m’ont marqué. Ma taille, mon
poids, feront toujours de moi une demi-femme.
Ce statut fut surement la raison des brimades que je subis au collège.
Des gamines m’insultant de grosse vache, de mocheté, de « aucun mec voudra
de ça ». Le summum fut atteint un jour où une certaine Amélie (putain je
m’en veux d’avoir gardé ce nom en tête) me baissa mon jogging en sport devant
l’indifférence totale du professeur. Et comme souvent chez moi, la tristesse se
transforma en colère à une vitesse éclair. Je la chopai à la sortie du collège
et je la frappai de mes poings rageurs. Elle prenait pour ma mère, pour la
société, pour la vie. J’étais grosse mais je ne leur ferais pas de cadeaux non
plus. Je cognerais pour avoir le droit de vivre avec ce corps.
Cette vengeance me valut le respect des mecs dit pas recommandables.
Ils voyaient en moi quelqu’un de leur bande. J’ai fait des conneries avec eux
mais merde ça faisait du bien d’être entourée même s’ils niaient au passage mon
statut de femme. Car une femme se doit de prendre le moins de place possible,
ne pas parler fort, ne pas dire de gros mots et ne pas faire preuve de
violence. Je décidai d’être tout le contraire.
Mais l’adolescence arriva. Des hanches larges et surtout une poitrine
rebondie qui m’exposa rapidement aux regards lubriques d’homme qui pouvaient
avoir trois à cinq fois mon âge. Je me rappelle encore de cet homme âgé qui
m’accula pour embrasser mon ventre de jeune fille. J’ai été comme bloquée,
tétanisée pendant quelques instants et heureusement j’ai eu le déclic de
prendre la fuite avant qu’il aille plus loin. Je n’en ai pourtant parlé à
personne, trop honteuse, me disant que personne ne me croirait. J’étais la
grosse, la laide et pourtant ça me protégeait en rien de la lubricité des
hommes. Je serai un objet comme toutes mes sœurs.
Vers la fin du collège j’ai cru connaître l’amitié féminine.
Malheureusement j’ai dû attendre le lycée pour vraiment l’expérimenter. J’ai
été l’amie grosse, le faire-valoir. Celle dont on disait envier son
« laisser-aller» preuve de sa liberté d’esprit. Foutaises. Moi j’avais
envie de l’aimer ce corps, d’en prendre soin. D’avoir de l’allure et de la
prestance dans des vêtements qui refléteraient ma personnalité. Mais voilà tout
me disait qu’une grosse était ridicule. Alors j’avais honte et préférais ne pas
tenter. Je ne voulais pas être ridicule alors je faisais croire que c’était
voulu.
Et pourtant, j’y ai eu le droit, à mon lot d’humiliations… J’étais
amoureuse d’un de mes amis, rien que de plus banal à 13 ans. Mais comme la peur
d’être ridicule était chevillée à mon être comme les kilos en trop je préférais
rien en dire. Jusqu’au jour où je reçu un petit mot dans un de mes
cahiers : un garçon qui disait m’aimer. Je suis allée au rendez-vous qu’il
me proposait, caressant l’espoir que c’était mon ami. Mais comme la vie n’est
pas une comédie romantique, ou alors car les héroïnes de comédies romantiques
ne sont pas grosses, c’était une bande de gamines hilares qui m’attendait. Les
rires moqueurs fusaient, les répliques cinglantes. Après tout qui étais-je pour
croire qu’on pourrait m’aimer, moi la grosse ?
Mon adolescence fut empreinte d’humiliations amoureuses. Comme ce garçon
qui ne voulait pas qu’on sache qu’il sortait avec moi. Moi, la grosse, celle
qu’on ne présente pas à ses potes de peur qu’ils se moquent car on avait réussi
qu’à se trouver un boudin. Heureusement des ami.e.s m’ont soutenu.e.s même si
je ne leur parlais jamais de ce genre de chose : des blessures
quotidiennes en tant que grosse dans une société qui élève ton mal-être comme
une récolte à moissonner sur le tard. Car oui, c’est rentable les gross.e.s aml
dans leur peau. Au lycée je cachais mes régimes, mes privations alimentaires,
les fois où je me faisais vomir. Mais j’étais divisée. Car ce corps au final
c’était le mien et était parfois une vraie source de plaisirs et
d’accomplissements.
A quinze ans, grâce à l’accord d’un père compréhensif, je me suis fait
tatouer une petite rose sur l’épaule. Le début d’une lente et longue
réconciliation. J’avais besoin de marquer dans mon corps mon identité, que mes
kilos et ma ressemblance physique avec ma mère, m’interdisaient. Encore une
fois je me rends compte, que même avec ses défauts, mon père a participé à mon
émancipation : je devais être libre. Bientôt j’adoptais et testais plein
de looks différents : baba cool, gothique, cheveux mauves, oranges, bruns
puis finalement et encore aujourd’hui rouges, piercings, etc… Tant que je
n’abusais pas et que mes notes étaient bonnes mon père n’y voyait pas
d’objections dans la limite de ses moyens financiers. Et c’est grâce à ce
sentiment de liberté que j’ai réussi à quitter cette sensation que mes kilos me
rendaient ridicules. Petit à petit, briques par briques… On ne déconstruit pas
en un jour ce qu’une vie entière vous a inculqué. Mais de temps en temps,
quelques briques venaient se rajouter : une insulte venant d’un gars dans
la rue, ma mère m’offrant des livres de régimes ou encore mon reflet dans le
miroir dans les cabines d’essayages…
Ça a été un long combat. C’est une fois jeune adulte que je me suis
cognée à la grossophobie du milieu médical. Je me rappelle encore être sortie
quasiment en larmes après un entretien avec la médecine du travail. Je bossais
en tant que caissière et je souffrais parfois de maux de dos. La médecin m’a
dit froidement que la cause de tout cela était mon surpoids et ne m’a fourni
aucune explication sur les postures à tenir en caisse. Non, je n’étais rien
d’autre qu’un chiffre sur une balance, un simple rapport poids/taille. Je
faisais alors 100kg pour 1m76 et je ne souffrais pas de surpoids, j’étais ce
surpoids. La grosse à abattre alors que j’étais en parfaite santé.
Mon compagnon actuel, rencontré alors que je bossais dans ce même
magasin, et avec lequel je suis depuis 7 merveilleuses années œuvre chaque jour
pour essayer de m’aider à m’accepter telle que je suis. Malheureusement pour
nous, il est dur de combattre une vie de brimades à cause de son poids. Mon
père, qui peut pourtant se montrer si compréhensif, lui a même reproché cette
bienveillance car à cause d’elle je ne ferais pas suffisamment attention à ma
santé. Pourtant c’est grâce à cette bienveillance que j’arrive aujourd’hui à
pousser la porte d’une nutritionniste dans le but de perdre du poids car je
suis arrivée à un palier où je ne me reconnais pas. De plus, malgré le calvaire
que représentaient pour moi les cours de sports, j’ai enfin trouvé une
discipline qui me donne envie de me dépasser : le Krav Maga.
Mais ce n’est pas un poids idéal que je veux atteindre. Je veux juste
devenir plus forte et retrouver un corps dans lequel, quoi que me disait la
société, je me sentais bien. Même avec quelques kilos en trop. Et je sais que
quoi qu’en dise les médias, je ne serais pas égales par rapport aux autres. Non,
je ne suis pas grosse parce que je me goinfre en cachette ou parce que je ne me
bouge pas. Maintenir mon poids toute ma
vie me demandera des sacrifices alimentaires que la plupart des gens
naturellement minces ne comprennent pas. Mais je ne le ferai que pour moi et le
sport deviendra un allié, là où il n’était alors qu’un autre outil
d’oppression. Car mon corps est mon corps. Gros ou moins gros, il le sera
toujours. Je ne le changerais pas pour faire plaisir à une société oppressive
et hypocrite qui dit se soucier de ma santé quand elle oublie mon bien être
mental.
Et soyons pragmatiques deux secondes : maigrir demande de
l’investissement et des moyens financiers que tous ne peuvent pas fournir. Mon
médecin n’est même pas remboursé intégralement par la sécurité alors qu’on ne
cesse de nous rabâcher que l’obésité est un problème de santé publique. Je ne
peux m’empêcher d’y voir une incohérence stupide.
Donc non. Si vous vous sentez mal dans votre peau à cause de votre
poids ou de n’importe quoi d’autre ce n’est pas une question de faiblesse ou de
manque de recul/d’intelligence où je ne sais quoi d’autre. Nous ne pouvons pas
être indifférents à ce qu’une société et tous les éléments qui la compose, nous
matraque sans cesse. Et peu importe l’oppression systémique à laquelle vous
faites face. Vous n’êtes pas faibles ! Sortez-vous cela immédiatement du
crâne. Nous sommes des êtres sociaux, bâtis pour fonctionner ensembles et nous
ranger à l’avis du plus grand nombre. Si cette société a marqué son empreinte
en vous c’est juste parce que nous sommes humains et nous fonctionnons ainsi.
Des êtres sociaux. Il est lent le chemin à parcourir pour s’accepter. Mais
paradoxalement je n’ai jamais été aussi grosse et je me suis jamais autant
aimée.
Et pour les autres qui se croient meilleurs, qui pensent pouvoir être
au-dessus de tout ça, peut-être juste parce que vous n’avez pas encore pris la
mesure de vos œillères.
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