1er Novembre : un soleil radieux
automnal luit et fait briller les stèles grises du cimetière de
Fontainebleau. Il est rarement aussi coloré : des centaines de
gerbes de chrysanthèmes partout se jouant du béton et du marbre
terne. Jaunes, rouges, oranges et mauves comme autant de touches de
couleurs pour rappeler aux morts que les vivants ne les ont pas
encore tous oubliés.
Je m'avance seule, dans mes bras une
composition de conifères pour décorer sa tombe. J'obéis aux
rituels sans être croyante, un peu égoïstement car l'oublier serait la tuer une seconde fois.
Un couple de personnes âgées assis
sur un banc m'apostrophe. Ils me demandent ce que je porte, je leur
répond aimablement et je me rends compte à quel point je dépareille
dans ce lieu : je suis si jeune par rapport à tout ceux qui
m'entoure. Mais une fois l'exercice de politesse terminée je salue
ce vieux couple aux cheveux blancs et je continue de m'avancer dans
cette jungle de marbre et de bétons. Un cimetière français couleur
cendre comme tant d'autres.
Je la vois au loin, leur tombe. Ma
grand-mère et mon grand-père. Leur sépulture ne diffère pas bien
des autres : une croix en marbre gris bien droite et une plaque noire
à sa base où s'étale en lettres dorés le nom des occupants :
« Monique ROLAIS 1938-1996 ; Henri BLANC 1934-2005 ».
Ma grand-mère, mon grand-père,
quelques lettres dorés sur un caveau.
Sur le sol la forme rectangulaire
classique, quelques graviers roses recouvrent le plancher de leur
caveau, encadré par le même marbre gris. Quelques plaques
commémoratives sont posés : « à notre mère », « à
notre grand-mère », « à notre amie », « à
notre frère »... voilà ce qu'il reste de nous : nos lien avec
les vivants.
Je pose ma gerbe de conifères et je
leur parle... Peu importe qu'il y aie quelqu'un d'autre que moi
pour entendre.
Je pense aux quelques mots d'une
chanson. Une chanson d'amour d'une princesse vivante à un chevalier
mort :
« I wrote this song, it's all for
you.. »
« Et je regarde pendant des
heures tout ces nuages. Je vois des fleurs, des trains, des arbres
mais même là au fond du ciel, je ne te vois pas. Alors je prie!
Dieu me pardonne, sans croire en lui je prie pour l'homme, qui
m'aimait tant, que j'aimerais toute a vie, mon chevalier. »
Plus qu'un chevalier, tu es ma
grand-mère, cette lumière qui brillera toujours tant qu'un souffle
animera cette carcasse de chair qui est la mienne.
Et je me rappelle alors d'un des
premiers textes fort que j'ai écrit. Un des tout premiers vraiment
fort. Un de ceux qui m'ont fait toucher et comprendre la puissance
des mots.
J'étais au collège, j'avais une
rédaction bateau à faire : écrire et décrire un moment important
de sa propre vie. J'ai choisi ta mort...
« De
mon enfance je n’ai pas vraiment gardé de souvenir, plutôt des
sensations, et ceci jusqu’à un événement : la mort de ma
grand-mère. J’avais six ans, les cheveux longs et des anglaises.
A
cette époque, je vivais chez mes grands-parents. C’était en
automne ou en hiver, je ne me rappelle plus très bien mais en tout
cas il faisait froid.
Je
me trouvais dans la chambre de mon oncle, nous étions en train de
jouer avec sa console. Soudain une voix grave qui n’était autre
que celle de mon grand père s’éleva : « Angélique
vient, mémé est rentrée de l’hôpital », ou quelque chose
comme ça. Je me levai toute excitée. Vous ne pouvez pas savoir à
quel point j’étais heureuse. Pour moi rien de mal ne pouvait
arriver, et si, comme ma grand-mère, quelqu’un était malade, il
lui suffisait d’aller chez le médecin pour être guéri. Je ne
savais même pas ce qu’était exactement la mort. Donc je me levai
et courus avec hâte vers la porte ; et là je la vis : ma
grand-mère que j’avais toujours considérée comme une femme forte
et douce se trouvait là, devant moi, le visage livide et si faible
que les médecins l’aidaient à monter les escaliers. Je la regardais
en me disant avec une certaine euphorie que c’était fini, plus
besoin de remmener mémé à l’hôpital et que maintenant tout
redeviendrait comme avant ; elle pourrait à nouveau s’occuper
de moi et m’apportais toute cette tendresse qu’elle m’apportait
jadis.
Ensuite
mes souvenirs sont assez confus. Je me souviens que ma grand-mère
est allée dans sa chambre pour se reposer, qu’ensuite pépé à
demandé à sa voisine si je pouvais dormir chez elle, et que plus
tard dans la nuit mes parents sont venus me chercher. Le lendemain ma
mère me convoqua dans la chambre de ma grand- mère. J’ouvris la
porte avec l’esprit troublé : « pourquoi mémé n’est
pas là et qu’est ce que maman veut me dire ? ». Je vis
alors ma mère assise sur le lit, ses longs cheveux blonds plein de
lumière venant de la fenêtre me rappelèrent, avec une certaine
amertume, que ce matin ce n’était pas ma grand-mère qui m’avait
coiffé car, depuis qu’elle était à l’hôpital je ne pouvais
plus partager avec elle ce moment de tendresse quotidien.
« Angélique
ce que je vais te dire n’est pas une bonne nouvelle…
_Quoi
mémé va repartir à l’hôpital ?
_Non
elle est morte. »
Ce
fut comme si tous les malheurs du monde m’étaient tombés dessus,
ce jour là j’avais fait connaissance avec la mort. Avec sa grande
faux elle avait pris une personne très chère. J’en voulais à la
mort et je lui en veux toujours aujourd’hui. Je suis ensuite devenu
assez renfermée sur moi-même. J’étais tourmentée par une seule
et même question : où est-elle ? Il m’arrive encore de
pleurer quand je pense à elle. Toutes ces illusions brisées si
violemment.
Mais
je sais aujourd’hui qu’il faut vivre, profiter de la vie, rire et
s’amuser, nous n’aurons qu’une seule chance pour cela, et
surtout ne jamais oublier quelles que soient les circonstances, les
personnes qui nous sont chères. »
Voilà
quelques mots que j'ai pu écrire grâce à toi.
Quelque
part, tu es là, à la source de l'envie d'écrire parce que vivre
seulement ne suffit pas.
À
l'année prochaine grand-mère.
Le
mois de Novembre commence par le jour des morts et se termine sur la
vie...