dimanche 12 juillet 2015

Altérité




« Parfois quand je suis en voiture je croise d'autres voitures, avec au volant des gens avec une vie entière pleine de souvenirs dont je ne connais rien. Ils sont là, ils me dépassent, et c'est toute une vie inconnue qui défile sans que je n'en sache rien. Tout un univers, une ligne temporelle,qu'on ne croise qu'à un moment précis de notre vie ».

Il est tard. La tête posée sur le torse de l'homme que j'aime, j'écoute ses quelques mots et le battement de son coeur qui s'agite sous mon oreille gauche. Quelques mots qui résonnent comme un écho à des pensées qui ont si souvent traversé mon cerveau comme une fulgurence : le gouffre infini des autres, l'abysse insondable de l'Alterité.
Tous les jours je frôle des milliers de personnes et je n'en retiens rien même pas le contour flou de quelques silhouettes. A chaque instant, dans les artères souterraines de la métropole parisienne, je croise des êtres avec une vie, une enfance, des prôches, des rêves, des désillusions sans que je n'ai conscience de rien. Juste des silhouettes blafardes dont les photons viennent s'écraser contre mes rétines sans que mon cerveau ne prenne la peine de les mémoriser.
Et chaque matin et chaque soir c'est la même chose lorsque je monte dans mon train et autre transports en commun. Nous sommes tous de minuscules cellules inconscientes des unes et des autres, toutes affairées que nous sommes à nous rendre là où l'on nous attend. Nous ne voyons même plus les êtres sur le bord de la route qui n'attendent qu'une seule chose : se faire digérer par la machine que nous composons.
Pourtant je sais que nous sommes bien plus que ces êtres aveugles et sans mémoire. Je sais bien que ces êtres humains inconscients sont de véritables patchworks : assemblage chaotique et disparate de souvenirs, sensations, émotions, chairs...
Et quand je prends conscience de tout cela, dans un de ses rares moments de fulgurence où même les couleurs du monde me semblent plus vive, j'ai soudain le tournis. Presque le même que celui qui me saisit lorsque je songe à l'immensité de la mort dont aucun tetrapharmakon ne peut me sauver. Et je me demande où passe la mémoire de toutes ces vies et de ces jours passés? Où vont tous ces moments? Existe-t-il des limbes pour ces instants? Ou bien tout cela cesse-t-il d'exister une fois fini?

Voilà bien l'enjeu de chaque individu plus que notre chair vouée à un constant et perpetuel renouvellement jusqu'à notre mort : notre mémoire, entité à la fois mouvante et solide qui crée ce lien entre future et passé, altérité et intériorité que j'appelle moi. Et cette mémoire de l'Autre me sera perpétuellement refusée, je n'en apercevrai que des expressions ou des simulacres.  

samedi 10 janvier 2015

1er Novembre


1er Novembre : un soleil radieux automnal luit et fait briller les stèles grises du cimetière de Fontainebleau. Il est rarement aussi coloré : des centaines de gerbes de chrysanthèmes partout se jouant du béton et du marbre terne. Jaunes, rouges, oranges et mauves comme autant de touches de couleurs pour rappeler aux morts que les vivants ne les ont pas encore tous oubliés.

Je m'avance seule, dans mes bras une composition de conifères pour décorer sa tombe. J'obéis aux rituels sans être croyante, un peu égoïstement car l'oublier serait la tuer une seconde fois.
Un couple de personnes âgées assis sur un banc m'apostrophe. Ils me demandent ce que je porte, je leur répond aimablement et je me rends compte à quel point je dépareille dans ce lieu : je suis si jeune par rapport à tout ceux qui m'entoure. Mais une fois l'exercice de politesse terminée je salue ce vieux couple aux cheveux blancs et je continue de m'avancer dans cette jungle de marbre et de bétons. Un cimetière français couleur cendre comme tant d'autres.

Je la vois au loin, leur tombe. Ma grand-mère et mon grand-père. Leur sépulture ne diffère pas bien des autres : une croix en marbre gris bien droite et une plaque noire à sa base où s'étale en lettres dorés le nom des occupants : « Monique ROLAIS 1938-1996 ; Henri BLANC 1934-2005 ».
Ma grand-mère, mon grand-père, quelques lettres dorés sur un caveau.
Sur le sol la forme rectangulaire classique, quelques graviers roses recouvrent le plancher de leur caveau, encadré par le même marbre gris. Quelques plaques commémoratives sont posés : « à notre mère », « à notre grand-mère », « à notre amie », « à notre frère »... voilà ce qu'il reste de nous : nos lien avec les vivants.

Je pose ma gerbe de conifères et je leur parle... Peu importe qu'il y aie quelqu'un d'autre que moi pour entendre.
Je pense aux quelques mots d'une chanson. Une chanson d'amour d'une princesse vivante à un chevalier mort :
« I wrote this song, it's all for you.. »
« Et je regarde pendant des heures tout ces nuages. Je vois des fleurs, des trains, des arbres mais même là au fond du ciel, je ne te vois pas. Alors je prie! Dieu me pardonne, sans croire en lui je prie pour l'homme, qui m'aimait tant, que j'aimerais toute a vie, mon chevalier. »
Plus qu'un chevalier, tu es ma grand-mère, cette lumière qui brillera toujours tant qu'un souffle animera cette carcasse de chair qui est la mienne.

Et je me rappelle alors d'un des premiers textes fort que j'ai écrit. Un des tout premiers vraiment fort. Un de ceux qui m'ont fait toucher et comprendre la puissance des mots.
J'étais au collège, j'avais une rédaction bateau à faire : écrire et décrire un moment important de sa propre vie. J'ai choisi ta mort...

« De mon enfance je n’ai pas vraiment gardé de souvenir, plutôt des sensations, et ceci jusqu’à un événement : la mort de ma grand-mère. J’avais six ans, les cheveux longs et des anglaises.
A cette époque, je vivais chez mes grands-parents. C’était en automne ou en hiver, je ne me rappelle plus très bien mais en tout cas il faisait froid.
Je me trouvais dans la chambre de mon oncle, nous étions en train de jouer avec sa console. Soudain une voix grave qui n’était autre que celle de mon grand père s’éleva : « Angélique vient, mémé est rentrée de l’hôpital », ou quelque chose comme ça. Je me levai toute excitée. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’étais heureuse. Pour moi rien de mal ne pouvait arriver, et si, comme ma grand-mère, quelqu’un était malade, il lui suffisait d’aller chez le médecin pour être guéri. Je ne savais même pas ce qu’était exactement la mort. Donc je me levai et courus avec hâte vers la porte ; et là je la vis : ma grand-mère que j’avais toujours considérée comme une femme forte et douce se trouvait là, devant moi, le visage livide et si faible que les médecins l’aidaient à monter les escaliers. Je la regardais en me disant avec une certaine euphorie que c’était fini, plus besoin de remmener mémé à l’hôpital et que maintenant tout redeviendrait comme avant ; elle pourrait à nouveau s’occuper de moi et m’apportais toute cette tendresse qu’elle m’apportait jadis.
Ensuite mes souvenirs sont assez confus. Je me souviens que ma grand-mère est allée dans sa chambre pour se reposer, qu’ensuite pépé à demandé à sa voisine si je pouvais dormir chez elle, et que plus tard dans la nuit mes parents sont venus me chercher. Le lendemain ma mère me convoqua dans la chambre de ma grand- mère. J’ouvris la porte avec l’esprit troublé : « pourquoi mémé n’est pas là et qu’est ce que maman veut me dire ? ». Je vis alors ma mère assise sur le lit, ses longs cheveux blonds plein de lumière venant de la fenêtre me rappelèrent, avec une certaine amertume, que ce matin ce n’était pas ma grand-mère qui m’avait coiffé car, depuis qu’elle était à l’hôpital je ne pouvais plus partager avec elle ce moment de tendresse quotidien.
« Angélique ce que je vais te dire n’est pas une bonne nouvelle…
_Quoi mémé va repartir à l’hôpital ?
_Non elle est morte. »
Ce fut comme si tous les malheurs du monde m’étaient tombés dessus, ce jour là j’avais fait connaissance avec la mort. Avec sa grande faux elle avait pris une personne très chère. J’en voulais à la mort et je lui en veux toujours aujourd’hui. Je suis ensuite devenu assez renfermée sur moi-même. J’étais tourmentée par une seule et même question : où est-elle ? Il m’arrive encore de pleurer quand je pense à elle. Toutes ces illusions brisées si violemment.
Mais je sais aujourd’hui qu’il faut vivre, profiter de la vie, rire et s’amuser, nous n’aurons qu’une seule chance pour cela, et surtout ne jamais oublier quelles que soient les circonstances, les personnes qui nous sont chères. »



Voilà quelques mots que j'ai pu écrire grâce à toi.
Quelque part, tu es là, à la source de l'envie d'écrire parce que vivre seulement ne suffit pas.

À l'année prochaine grand-mère.
Le mois de Novembre commence par le jour des morts et se termine sur la vie...